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Et la nuit seule entendit leurs paroles

7 Mai 2010

Si je voulais respecter « l’esprit du siècle », je devrais vous conseiller de lire ces quelques pages après une absinthe mais je    ne voudrais  pas vous inciter à des consommations illicites, je n’en ferai rien… Je vous recommande donc comme  accompagnement de cette  surprise littéraire de l’angélique confite : douceur envoûtante du sucre, couleur verte comme  une fée, mélange subtil de fraîcheur et  d’amertume, goût unique et surprenant…


Si comme moi vous êtes des drogués de la lecture, que vous avez toujours besoin d’avoir un livre sur vous, que vous êtes en quête du livre fétiche à lire et relire entre deux métros, ne cherchez plus : Et la seule entendit leurs paroles de Patrick Besson est écrit pour vous !

A chaque fois que je l’ouvre et que je lis quelques lignes au hasard, je jubile, je m’esclaffe, je savoure ! Le plus : il se glisse facilement dans toutes les poches de jean et autres sacs à mains, ce qui n’est pas négligeable…

Ces 100 délicieuses pages imaginent ce qu’aurait put être la dernière rencontre entre Verlaine et Rimbaud. 104 pages de dialogue à bâtons rompus entre les 2 génies les plus séduisant et les plus intrigants de la poésie françaises cela vaut le détour, croyez-moi.

Nous sommes à Stuttgart en 1875. Verlaine sort de prison, Rimbaud vient d’achever les Illuminations et s’apprête à tout plaquer pour l’Aventure. Les anciens amants ne se sont pas vus depuis que Paul a tiré un coup de pistolet sur Arthur lors d’une nuit d’ivresse, de rupture et de jalousie.

En quelques lignes, le décor est planté et l’ambiance créée : « Une chambre modeste. Un homme en macfarlane, grosses chaussures aux pieds, étendu sur le lit à une place. Il dort. Ronfle. C’est Verlaine, trente et un ans. La porte s’ouvre. Entre un jeune homme dégingandé, à la veste trop courte : Rimbaud, vingt et un ans. Il s’approche du lit. Soulève le chapeau. Sourit. Se penche. embrasse Verlaine sur la bouche. Celui-ci se réveille. Il a un moment de stupeur, puis il se débat, échappe à l’étreinte de Rimbaud, se lève.« 

Puis aussitôt, le dialogue : affrontement, flatteries, mépris, amour, reproches, nostalgie, luxure, ivresse. Poésie… La jouxte orale dure toute la nuit, et les deux poètes usent jusqu’à l’aube de toutes les armes linguistiques possibles, du coup de fouet à la caresse. Ils se cherchent, se blessent, se connaissent trop bien tout en ayant changé pendant leur séparation. Le dialogue tourne en rond, chacun remettant au coeur du débat les obsessions qui lui tiennent à coeur. Rimbaud est encore jaloux de Mathilde, l’épouse de Verlaine, celui-ci s’est converti. Toujours, l’on revient sur leur séjour à Londres, sur leurs amours, leurs saouleries, leurs poèmes, leur génie.

Le grand talent de ce livre est de nous donner une impression d’indiscrétion, de familiarité excessive. On se sent importun, comme un spectateur qui regarderait par la fenêtre de la chambre. J’ai lu quelque part une phrase que j’ai trouvée tout à fait juste : « l’impression de claquer une bise à la Joconde » (pardon pour l’auteur, je ne retrouve vraiment plus qui a écrit ceci !). Côtoyer si intimement ces deux hommes, même fictivement, voir ce Rimbaud si insolent et irrévérencieux, ce Verlaine génial mais désespéré, est à la fois presque gênant et horriblement excitant !

Non seulement il faut le lire et le relire, mais c’est typiquement le genre de livre qu’il faut offrir et distribuer autour de soi comme on chuchoterait une rumeur. J’aurais aimé le trouver abandonné sur un banc…

PS : Pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus de l’absolue nécessité de se procurer au plus vite Et la nuit seule entendit leurs paroles, voici l’incroyable 4éme de couv’ :

« RIMBAUD. Une grande idée, ç’a été, tiens, de coucher ensemble.
VERLAINE. Que ce soit ton idée ou la mienne, le résultat est le même : on a couché ensemble.
RIMBAUD. Ouais. Même que ç’a été bon. Non ? C’a n’a pas été bon ?
VERLAINE (réticence). Si. N’empêche que maintenant on est catalogués pédés.
RIMBAUD. Ce sont des choses auxquelles il faut s’attendre quand on couche avec son meilleur ami.
VERLAINE. C’est embêtant. Imagine qu’on reste dans l’Histoire comme poètes. Eh bien, on restera dans l’Histoire comme poètes pédés.
RIMBAUD. On ne restera pas dans l’Histoire ! »

Ou encore :

« RIMBAUD. Parce que je ne le pense pas. Tu es le seul type vivant qui écrive bien. Tu sais pourquoi j’ai arrêté de lire ? Parce que j’ai lu tout ce que tu as écrit. « La fuite est verdâtre et rose… » Il faut le faire. Parce que c’est comme ça qu’est la fuite : verdâtre et rose. elle n’est pas autrement. Chapeau, mon pote (Il se ressert du schnaps.) Qu’est-ce qu’on a bu ensemble, qu’est-ce qu’on a pu boire, on a tout bu. Ale, pinard, rhum, absinthe. On ne touchait pas terre. J’avais toujours quelque chose dans la bouche : un verre, ma pipe, ta queue. J’étais plein. Bourré. Bourré au sens plein. Comment peut-on avoir été aussi heureux et puis survivre ? C’est une honte. Je serais un milliardaire honteux. C’était quoi déjà, les termes de ta lettre ? « Aimons-nous en Jésus… » C’est quoi, ce truc-là ? Une nouvelle position ?
VERLAINE. Arthur… »

PPS : Aux amoureux de Rimbaud, ne loupez pas le très bon article de La Cuiller d’Aluine !

Et la nuit seule entendit leurs paroles, Patrick Besson, Mille et une Nuits (3 euros).

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